À Louise Caroline et Martin Miguel
Avancer lentement au bord d’un précipice et laisser le vide capter le regard, ainsi s’approche-t-on d’une œuvre d’art ou d’un poème. Il faut oublier les paysages d’avant, se laisser pénétrer par ce qui fonde l’inconnu, être amnésique de son histoire personnelle, de celle des autres. Souffle comprimé s’avancer encore et saisir ce qui exfiltre des œuvres : le langage. Les encres d’imprimerie sont formes caressées, palpées, colorées. Les créations de Louise Caroline aux titres territoires sont monceaux, froissements, plis et éclats de ciel et de terre, chair et rêves mêlés. Ces poèmes visuels, agités par le vent, mus par le soleil-sang des mains et du cœur de l’artiste, donnent couleurs et formes, véritable épiphanie de l’indicible. Les paysages intimes et singuliers se glissent, se lient, dévoilent voire interpellent les nôtres. Ainsi, le premier mot sera-t-il articulé dans la matière, on peut avancer encore, regarder, comprendre comme un partage se descelle et se donne à vivre. Matière noire agissante, le vide est devenu art. L’œuvre parle et avec elle la poésie.
Sauvagerie, domesticité, nature, culture, la main de l’artiste écrase les siècles, supplante le temps, domine la mémoire en oubliant toutes les langues et en les réinventant à la même seconde, elle bâtit sur le béton l’abyssal vide où se compose ce qui se dit (ou ne peut se dire) dans le secret de la matière travaillée. Le trait invite à une trajectoire, l’ouvert de la forme (même circonscrite, même enfermée) appelle la couleur à ne jamais renoncer à se révéler et à révéler. Ce qui sourd là simultanément est la force magmatique et nourricière de la matière travaillant en elle-même et travaillée par Martin Miguel. Avancer, avancer encore vers ce qui n’est plus le vide mais espace atemporel où vibre la première molécule minérale.
Ce qui est donné là se murmure et se répète déjà à l’autre, celui qui viendra juste après se glisser lui-aussi dans l’œuvre et dans l’entre-deux des œuvres si proches l’une de l’autre et si merveilleusement séparées, laissant là le passage à ce qui se dit, à la poésie faite art.
Marie-Christine MASSET (avril 2020), poète, membre du comité de rédaction de la revue Phoenix